1710. Peeping Tom de Alessandro Mercuri par Romain Verger pour MEMBRANE.
Par general, mardi 20 septembre 2011 :: #1710 :: rss
On lit Mercuri comme on subirait sous hypnose les illusions d'un magicien. Ce sont plaisir, stupéfaction, amusement et sidération mêlés à voir quelques fragments de notre apparente réalité factuelle entrer en vibration et voler en éclats pour dévoiler leur face cachée. Préférant comme Raymond Federman 'l'irrationalité ludique de l'homme à sa rationalité bien-pensanteâ?, Alessandro Mercuri soumet, dans le prolongement de son précédent essai Kafka Cola, notre société au principe de non contradiction, dans la droite ligne de Protagoras, le père de la dialectique, qui considère qu'il existe 'sur chaque chose, deux discours possibles et contradictoiresâ?.
Il ne s'agit pas moins que de réenchanter la philosophie ' et la perception de notre monde qui en découle ' en faisant prévaloir le principe de controverse cher à Schopenhauer sur la dialectique systémique de Hegel. La tradition philosophique ne s'est-elle pas construite sur une imposture majeure en voulant 'faire passer une chose pour ce qu'elle n'est pasâ? ? Pour qu'adviennent les concepts, il aurait fallu vider les grands mythes et les figures héroïques de leur substance, tourner le dos aux forces de la matière et aux principes premiers : 'la philosophie serait née du meurtre rituel des divinités, scalpées,écorchées puis dépouillées de leur corps, de leur physicalité, de leur êtreâ?. 'Au royaume des Idées, la philosophie dégouline d'un amour platonique pour le juste, le bien, le beau, le vraiâ?.
Partant de ce postulat, Tom le voyeur tourne quelques aspects de notre société en fiction, cherche à débusquer et révéler l'invisible au risque de s'y br?ler les paupières. É moins que les fictions ne se brisent en non-fictions. Ainsi des destins croisés des deux Mandrake, le personnage de comic strip et le vrai magicien dont les trajectoires vont peu à peu et étrangement se confondre. Tel encore le film Mirage, plagiat par anticipation de la nuit cosmique du 9 novembre 1965 qui plonge une partie de la côte Est des États-Unis dans le blackout.
Mercuri porte sur la société un regard épique, cocasse et truculent, comme dans ce chant odysséen inédit qui voit Ulysse aborder les rives de Marseille et faire demi-tour en découvrant le visage d'une 'France ranceâ? aux 'divinités inconnues : CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC, SUD. Une clameur d'algue, d'iode et de grève s'élève des digues du port autonome.â?
Et qu'importe la caution épistémologique de nos disciplines et connaissances. L'animisme n'a pas moins de vérités à nous révéler que l'astrophysique, l'astrologie n'a pas moins de poids que l'astronomie, le phasme n'est pas moins estimable que l'homme. Un événement ne fait sens qu'au croisement de ces multiples approches, son rayonnement s'inscrit dans la chaîne des éternels retours, pour peu qu'on prenne le risque de se dés-anthropocentrer. En émerge des considérations d'ordre poétique comme cette mise en parallèle du barrage des Trois-Gorges en Chine, ouvrage pharaonique créé par l'homme et le gigantesque barrage édifié par des castors au Canada, révélé par les satellites. Dépassant toute raison et toute nécessité, est-il si différent d'une ?uvre de Land art? Dans Peeping Tom, les exemples abondent et la magie opère.
É noter que l'édition compte une riche iconographie : de troublants rapprochements entre la Maison Blanche et un ch?teau du Périgord noir, Piero della Francesca, la métamorphose de Mitterrand en Mandrake et autres photo-montages pour un mini roman-photo mettant en scène Poutine et Sarkozy.
Romain Verger
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