S’il est d’action de la littérature dans la vie, il ne peut être question que de subversion. Cerner l’indicible pour le hurler. Marteler la passion. Creuser les manques.
Tancrède de Mathieu Bénézet est à ce titre un chef-d’œuvre du genre. L’excès y est la figure de style principale. Les existences s’y croisent avec une violence épurée, leurs silhouettes marquant la mémoire du lecteur comme autant de bons ou de mauvais souvenirs...
Il y est question de nuits et de dérives, de corps ne voulant se consacrer qu’à l’excès du désir. Un univers masculin entre extrême matérialité de la débauche et onirisme transgressif. Ici les personnages sont les icônes d’une histoire à la fois fluide et complexe. L’idéal n’est qu’un en-deça, « dans l’effroi de soi-même ».
Le héros Tancrède s’affirme comme la fêlure de nos consciences ordinaires. « Son existence est une sorte de contrebande ou l’annonce d’une rupture... ». L’éclat ténébreux de la nuit entâchant délicieusement, douloureusement nos pensées diurnes. « C’est comme si vous viviez de romans » énonce Mathieu Bénézet en un clin d’œil au lecteur. C’est comme si Tancrède vivait de nos vies, de la vie même. Au sein des échanges, des éclats de paroles, des images esquissées en phrases lapidaires et lumineuses, un crime hante le récit, lancinant. Dans cet univers paroxystique, nulle certitude. Les vies se jouent. Les nuits sont haletantes. Le crime apparaît de page en page sans que l’on puisse réellement en définir la nature. Car il est aussi amour absolu.
Ainsi Tancrède est-il également l’histoire d’une écriture, brûlante, qui déjoue les conventions romanesques sans nuire au plaisir du lecteur. Une écriture qui sait alterner la cruauté des corps et l’intrusion de références littéraires pour créer un univers hybride, à l’encontre de tout manichéisme. Mathieu Bénézet joue aussi des références biographiques mais là encore, rien n’est sûr. « Même si c’est vrai, c’est faux » (Henri Michaux).
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