Comment la généalogie a-t-elle débordé les représentations de la parenté pour coloniser nos imaginaires et naturaliser nos usages collectifs ? Cette extension en a fait un instrument normatif des savoirs et des comportements : la généalogie institue les vies, elle assigne des places, elle légitime des hiérarchies et des valeurs. Si Nietzsche, par un renversement dévastateur, a voulu la transformer en une critique des absolus moraux, sa référence demeure encore massivement idéologique. La généalogie sert aujourd’hui à diagnostiquer une crise de la transmission, et à dénoncer des pratiques familiales et sexuelles jugées déviantes.
La critique proposée ici s’inspire des entreprises théoriques et imaginaires qui ont cherché à déplacer le paradigme généalogique. Elle invite à voyager dans les marges, là où ont été esquissés de suggestifs écarts : des utopies douces qui croisent du côté de Tahiti et de la liberté sexuelle, ou des théories révolutionnaires qui ont réinventé la fraternité au cœur de la violence. On y découvrira les détournements imprévus et pervers de la généalogie, mais aussi son achèvement, qui procède moins du contre-modèle que d’une érosion et d’une diffraction. Ce travail de la fin, à la fois chute et finition, nous conduira jusqu’aux scènes où les identités sont destituées, avec le souci de redéfinir en creux les notions d’origine et de communauté, de semblable et de ressemblance.
|