“Inaccessible par excellence, sans doute, cette nouvelle île mystérieuse l’est pour jamais, dès toujours, quadruplement : il m’est interdit d’y retourner vivre désormais, après y avoir passé six années pour moi essentielles ; elle est impossible à aimer, du moins d’un pur amour esthétique : ici guère de beauté ; impossible aussi à posséder (on ne peut pas y devenir propriétaire de biens immobiliers, les loyers sont contrôlés & modérés par l’état de New York) ; impossible enfin à décrire : c’est pour cela précisément qu’il m’a fallu tenter de le faire : pour empêcher l’effacement des derniers restes. Et malgré tous ces impossibles elle exerce une indubitable fascination : les amis qui sont venus me voir ici - c’est à dire aussi ou plutôt là-bas désormais, puisque j’écris ceci dans un logis transitoire de Brooklyn, avant de m’éloigner plus encore, jusqu’aux antipodes - sont tous tombés sous le charme plus ou moins lent qui émane de ce lieu après qu’on y a passé quelques heures. Philippe Dollo a su transformer cet appel en création, faire durer son désir de le photographier et d’en faire un « objet d’étude », selon le principe d’un Atget ou d’un Eisenstaedt. C’est pourquoi j’ai rebaptisé l’île de son nom (dogon) : celui des premiers explorateurs ne figure-t-il pas sur les cartes de géographie, celui des astronomes qui les découvrent ne vient-il pas s’accrocher aux météores inconnus ? Déjà Renaud Monfourny, venu ici il y a quelques années pour les Inrockuptibles, avait choisi d’illustrer un numéro spécial de la revue sur New York, par une photo prise dans l’île Roosevelt. En visite dans l’appartement que j’y ai occupé pendant ces six années, mon deuxième appartement new-yorkais, où nous avons trouvé l’essentiel des intertitres de notre Rencontre (Galilée, 2005), long dialogue qui s’intitulait alors De Dieu aux libellules, Hélène Cixous à qui je montrais l’état initial de la maquette de cette île Dollo, proposa aussitôt d’utiliser ces photos - et d’autres encore à prendre, en particulier de son océan forestier d’écriture à Arcachon, et de son appartement du quartier Montsouris - comme « illustration » de l’un de nos lieux d’écriture, qu’elle n’avait pu qu’imaginer jusqu’alors à l’autre bout du fax par l’entremise duquel nous écrivions cette Rencontre-là. Un tel projet n’a malheureusement pu se réaliser comme elle l’imaginait, mais de cet autre livre, autre rencontre, voici donc obliquement, tel un commentaire dans la marge ou quelques notes en pied de page, une partie de l’iconographie absente.”
Frédéric-Yves Jeannet
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