Charlotte d’Ingerville et Sainte, ces deux très courts récits de Bataille comptent parmi les plus secrets, les plus obscurs de tous ses récits. Ils n’ont d’ailleurs jamais fait l’objet d’aucune édition séparée, ni du vivant de leur auteur, ni après sa mort. Tout au plus n’étaient-ils lisibles, jusque-là, que noyés dans les Œuvres Complètes (une trentaine de pages parmi les 430 du quatrième volume d’une série de douze !) ; et dans le récent Pléiade, d’où leur puissance propre ne ressort pas davantage. L’idée de les réunir dans un seul volume obéit au désir de les faire découvrir à un nombre de lecteurs plus considérable, et de les imposer à un titre égal à celui reconnu au reste de son œuvre érotique, dont ils forment l’une des manifestations les plus éclatantes.
Bataille a toujours eu le désir de former des ensembles ; c’est le cas avec la Somme athéologique, où il regroupa quelques-uns de ses essais les plus fameux (L’Expérience intérieure, Le Coupable, etc.) ; ce l’est encore avec La Part maudite, qu’il tenait pour le premier volume d’une série qui intégrerait La Souveraineté, Histoire de l’érotisme, etc. Il en fut de même avec l’extraordinaire récit qu’est Madame Edwarda. Redécouvrant celui-ci en 1955, pour sa réédition chez Pauvert – il l’avait oublié entre-temps et n’en avait plus lui-même aucun des quelques dizaines d’exemplaires publiés « sous le manteau » –, il imagina d’inscrire ce récit dans une série, dont Ma Mère constituerait le deuxième volume, Charlotte d’Ingerville (et Sainte) le troisième et Paradoxe sur l’érotisme, le quatrième. Il n’écrira pas ce quatrième et dernier volume (à moins qu’il ne faille y voir un premier titre pour Histoire de l’érotisme qu’il écrira en effet). Ma Mère sera quant à lui écrit et accèdera à la notoriété qu’on sait (un film en a été tiré récemment). Quant à Charlotte d’Ingerville et Sainte, il les écrira en partie, puis les abandonnera. On ne découvrira leur existence qu’après sa mort, à l’occasion de l’établissement des Œuvres complètes, où ils seront intégrés en l’état.
C’est ainsi que nous les reprenons nous-mêmes, non sans les faire précéder d’une introduction situant ces récits sombres et singuliers dans l’œuvre générale.