La multiplication d’incidents racistes (antisémites ou arabophobes), appels, pétitions, dessine une spirale mortifère. En quête de frontières introuvables, l’Union européenne invoque ses racines chrétiennes. Désintégration sociale et désespérance politique alimentent le repli sur des identités mythiques, exclusives et vindicatives, religieuses, ethniques, ou communautaires.
Affolé par les « invasions barbares » d’une société en miettes, le pouvoir politique prétend faire d’une République imaginaire, vidée de ses forces fondatrices, une ligne Maginot illusoire. Les pouvoirs religieux cherchent à réinvestir l’espace public en réactivant les « valeurs » les plus traditionnelles.
La loi invraisemblable finalement retirée par l’Assemblée, qui prétendait imposer aux manuels d’histoire une apologie de la colonisation civilisatrice et de ses bienfaits, témoigne de ce nouveau malaise inquiétant dans la civilisation. L’Être éternel, la quête des origines, tendent à prendre le pas sur les incertitudes du devenir et l’ouverture des possibles. Les résistances à l’universalité marchande, aux nouvelles dominations impériales et à l’uniformisation culturelle hésitent entre de nouvelles formes de solidarité et un déchaînement de la guerre des dieux.
Pourtant, les forces qui souhaitent riposter à cette inquiétant obscurcissement des Lumières restent vives... Quelles pourraient être les sources aujourd’hui d’une « laïcité militante » (qui ne soit pas l’alibi de la Raison d’État) et d’un militantisme athée (ou révolutionnaire) de ce que Péguy dénonçait déjà comme un « athéisme bourgeois » et positiviste.
Daniel Bensaïd, philosophe, professeur à l’université de Paris-8, militant de la LCR, est l’un des meilleurs connaisseurs actuels de l’œuvre de Marx.