Hannah Arendt, Wilfried Kracauer, Walter Benjamin, Herman Broch, Joseph Roth, Theodor W. Adorno… ces grands penseurs du XXe siècle ont pour point commun d’avoir dû fuir leur pays après l’accession au pouvoir de Hitler. Contraints à plusieurs années d’errance, c’est en exil qu’ils ont produit, pour quelques-uns d’entre eux, leurs œuvres les plus importantes, parfois dans une langue nouvelle, étrangère à leur langue natale. Quelle influence leur « éloignement forcé » a-t-il eu sur leur travail, quelle importance leur pensée a-t-elle pris dans leur pays d’accueil ?
Enzo Traverso aborde ces questions à travers les correspondances que ces auteurs ont échangées avec leurs amis éloignés (certains sont restés en Allemagne, comme Heidegger, d’autres ont émigré en Israël, comme Gershom Scholem), correspondances qui dessinent le fil d’une pensée dispersée.
Dans ces correspondances et dans certains travaux théoriques proprement dits, la non-appartenance nationale et l’absence de terre sont abordées en tant qu’expérience existentielle et intellectuelle. Expérience qu’on aurait tort de ne tenir que pour douloureuse ou négative : en se dispersant, cette pensée a essaimé, et c’est de celle-ci qu’est née, entre autres, la prospérité de la pensée américaine par exemple. N’y voir qu’une « bohème » romantique serait également tout à fait inapproprié : dépourvus de tout, contraints à la fuite, certains, comme Walter Benjamin, virent leur capacités de travail soumises à de grandes épreuves.
Historien, Enzo Traverso a publié de nombreux essais, dont : L’Histoire déchirée. Essais sur Auschwitz et les intellectuels, en 1997 ; La Violence nazie. Une Généalogie européenne et Le Totalitarisme. Le XXe siècle en débat, en 2001.